Texte de Christiane Laforge

lu à la présentation de Paul Davis

au Gala de l'Ordre du Bleuet, le 14 juin 2019

Quand Charles Aznavour chante La Bohème, on peut croire y reconnaître un certain Paul Gagnon, ce jeune Baieriverain de 17 ans qui, pour ne pas renoncer à son rêve, a pris le risque de se choisir.


Et bien que miséreux
Avec le ventre creux
Nous ne cessions d’y croire


Né le 26 mai 1932, 2e enfant d’une fratrie de huit, Paul grandit sur la ferme familiale du rang Saint-Joseph de Grande-Baie, près des battures de la rivière Saguenay. Son père, Édouard Gagnon, sa mère Marie-Berthe Bolduc animent les soirées par le chant autour du piano. Une existence laborieuse, toute simple, où l’aîné doit inévitablement devenir le successeur du père à la ferme et le second, le prêtre dont l’engagement fera honneur à toute la famille. Paul quitte l’école primaire à 13 ans. Passionné de lecture et de musique, il suit des cours de piano auprès d’Ivonick Desbiens et, jeune débardeur sur les quais de Port-Alfred, achète sa première guitare à 16 ans. Au grand dam de son père, il veut être un artiste, « sauter la clôture », chante-t-il, conquérir le public et, qui sait, se retrouver à Hollywood.

Il a 17 ans. La guitare en bandoulière, riche des mélodies et des mots qui tourbillonnent dans sa tête, Paul s’exile à Montréal afin de tenter sa chance dans les concours de chants. Il déchante sans s’avouer vaincu, alors que sa survie le contraint à travailler pour Atlas Abestos d’abord et, plus tard, pour la maison Presto, une fabrique de briquets. Avec un salaire de 30 $ par semaine et grâce à la soupe populaire, le chanteur peut s’offrir des cours de chant auprès de Lucille Dumont. Timide et pourtant frondeur, rebelle et sans compromis, il choisit de poursuivre sa carrière sous le nom de Paul Davis, en l’honneur de la comédienne Bette Davis qu’il admire. La scène et le public seront les grands amours de ce célibataire très convoité. Dans sa vie, les femmes sont éphémères, si ce n’est une fiancée à laquelle nulle autre ne succédera. Hormis La reine morte de Montherlant qui le séduit, lors d’une soirée au théâtre, au point de s’inscrire à l’École d’art dramatique. Paul Hébert et Jean Gascon mettent en relief un talent qui, en 1958, lui vaudra une bourse pour le Festival shakespearien de Stratford, en Ontario, au titre de meilleur comédien du Québec.

Paul est à la Radio dans Les 4 saisons à CKAC et Le petit théâtre à CBF. Il joue pour la télévision et les théâtres populaires, tout en suivant des cours au Théâtre national de Montréal avec Jean Gascon et Guy Hoffman. Il se produit au Théâtre des Variétés avec Gilles Latulipe. Convaincu que la comédie, trop souvent perçue comme un art mineur, a pourtant sa place dans le répertoire québécois, il ne renonce pas au théâtre, bien que les médias s’intéressent davantage au chanteur.

En 1950, il débute au cabaret La Catastrophe, interprétant les chansons de Jacques Brel. Il devient barman-chanteur, effectue plusieurs tournées dans la province, enregistre plusieurs disques et flirte avec un premier succès lors de la sortie de Vous permettez monsieur popularisée par Adamo. Avec 30 000 disques vendus, son interprétation tient la première place au « hit-parade » pendant dix semaines. La voie est ouverte pour une suite heureuse. L’auteur-compositeur-interprète atteint un record de 42 000 ventes avec sa mythique chanson Mon village. Aujourd’hui encore, de nombreuses chorales achètent les droits de cette chanson. Mon village a été reprise par René, Régis et Nathalie Simard lors des inondations de 1996 qui ont ravagé la ville natale de René et Régis. Utilisée comme trame sonore par le groupe Talisman pour le court métrage L'usine et ma vilaine mémoire de 9 ans de Philippe Belley, cette composition est l’objet de nouveaux arrangements par le groupe Train d’enfer et Bernard Gagné. La popularité de Paul Davis est manifeste avec Au royaume du Saguenay, la chanson thème des Fêtes anniversaire du Saguenay de 1969. En cinq minutes, 40 000 exemplaires trouvent preneurs lors du lancement.

Chantre de sa région, Paul Davis y revient sans cesse. Il vit au sommet des toits de Montréal, dans un appartement décoré de ses peintures, de ses instruments de musiques, des objets d’art témoins de ses séjours à l’étranger, reflets du citadin bohème, mais c’est sur la route du parc qu’il compose Mon Village. Auteur-compositeur, il signe quelques 106 chansons, enregistre quinze 45 tours et 3 « long-jeux », dont deux sous sa propre étiquette Dis-o-Pol, dans le but avoué de se permettre plus de liberté et, si possible, promouvoir d’autres jeunes artistes sans les exploiter.

En 1976, Paul Davis retourne sur les bancs d’école pour terminer son secondaire et ses études collégiales. Deux ans plus tard, il quitte la scène et devient gardien de sécurité, répliquant à ceux qui s’en étonnent que c’est un métier comme un autre. Il a réalisé son rêve.

Adolescent, sa sensibilité souffrait d’abattre les arbres sur la terre familiale, comme si chaque coup de hache blessait sa propre écorce, son armure. Est-il l’arbre de trop de blessures? Discret sur ses choix, on peut croire que les difficultés surmontées à ses débuts n’ont rien à envier aux difficultés provoquées par la disparition des cabarets et boîtes à chansons.

Atteint d’un cancer du poumon, Paul Gagnon-Davis revient près des siens, vivre ses derniers moments, se mirant dans La Baie, jusqu’à sa mort survenue le 7 août 1995. Onze ans plus tard, la Société historique et le Musée du Fjord, lors des Fêtes du Saguenay, rendent hommage à cet artiste qui a été « innovateur en ouvrant la voie à d’autres vedettes ». Guylaine Simard, directrice du Musée du Fjord, déclare :

« Une constance de l'œuvre de Davis est son ancrage au Saguenay. En déjouant les pièges du régionalisme, il fit connaitre notre région en donnant à ses mélodies et ses mots une dimension universelle, le mal du pays, la quête d'un artiste à la recherche de lui-même. »


Le 14 juin 2019

PAUL DAVIS
Auteur, compositeur-interprète, comédien, chantre de La Baie
pour son exceptionnelle ténacité à chanter sa région
fut reçu, à titre posthume
Membre de l’Ordre du Bleuet


***


vendredi 29 novembre 2019

Pour se souvenir de Paul Davis, vidéo du Gala 2019 de l'Ordre du Bleuet



Quelques minutes pour se souvenir
d'une personne d'exception 

PAUL DAVIS







Membre de l'Ordre du Bleuet, à titre posthume
le 14 juin 2019


Denis Gagnon, frère de Paul Davis (né Gagnon), 
a reçu en son nom un certificat d'honneur des mains de son parrain Georges Coulombe, Membre de l'Ordre du Bleuet


Texte : Christiane Laforge
Lecteur : Patrice Leblanc
Technicien du son : Gilles Chamberland
Metteur en lecture : Daniel Jean
Montage du diaporama : Ariel Laforge


Avec la collaboration de Radio-Canada pour l'enregistrement de la narration

Denis Gagnon et Georges Coulombe





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POURQUOI L'ORDRE DU BLEUET

L'intensité et la qualité de la vie culturelle et artistique au Saguenay-Lac-Saint-Jean est reconnue bien au-delà de nos frontières. Nos artistes, par leur talent, sont devenus les ambassadeurs d'une terre féconde où cohabitent avec succès toutes les disciplines artistiques. Cet extraordinaire héritage nous le devons à de nombreuses personnes qui ont contribué à l'éclosion, à la formation et au rayonnement de nos artistes et créateurs. La Société de l'Ordre du Bleuet a été fondée pour leurs rendre hommage.La grandeur d'une société se mesure par la diversité et la qualité de ses institutions culturelles. Mais et surtout par sa volonté à reconnaître l'excellence du parcours de ceux et celles qui en sont issus.